La cité dolente, Laure Gauthier.

Crédit photo "Un livre pour", 2023. 


« J’irai m’oublier dans un mouroir / Voir de / Combien de vivre / Sont capables / Ceux qu’on dit en retrait ».

Poème narratif à l’écriture fragmentaire, La cité dolente évoque, en le faisant dialoguer avec La divine comédie de Dante, le récit d’un vieil homme qui décide de s’enfermer dans un hospice.

« Avrei voluto urlare, e ero muto »/ « J’aurais voulu hurler et me trouvais muet ». En exergue, les mots de Pasolini ouvrent le texte. Le premier chant est une entrée dans la parole elliptique de l’observant,  dans l’impossibilité de marcher. Les yeux sont portés bas, sur un enfant, qui ne court pas ou plus, le cou entouré de pierres. Il est le cri muet au visage de l’hypocrisie, le tuteur maladroit qui enserre, la vision étriquée.

De là, comme un fil tiré, vient le souffle poétique qui seul peut dire dans l’espace laissé vide, entre ce qui vit encore pleinement et ce que la société a délaissé. S’amorce alors le récit de l’instant avant, avant la fin, avant la mort. Dans cet interstice fragile et vacillant, les mots s’accrochent, donnent corps, restituent d’un regard sans concession la réalité qui le sous-tend. A l’imagerie d’un monde sensible qui élève, les mots du quotidien s’adjoignent dans l’ordinaire, bruts, violents. Dans ce décalage, l’on respire par bouffées. Les mots deviennent promontoires et abris, invocations dans la superposition confuse du monde.

Le langage, qui tente de donner au corps la consistance qui lui échappe, emplit le vide à venir et alors nous courrons après, le cœur serré, l’émotion retenue. Car c’est aussi dans et par la langue, poétique, que tout se tient, que l’on résiste ou accompagne. C’est une survivance. Les sensations, les odeurs, les couleurs et les formes jalonnent l’observation du vivant, évoquent cet état paradoxal de force face aux plus grandes faiblesses.

« Je suis venu, pourtant, chambre 214, avec mes trois livres

[…] prendre adieu de ta chair évaporée

Comme si la mort remontait à la surface de la peau.

Après un séjour saumâtre dans les profondeurs.

Et moi, carpe, je rodais dans ton être boue.

Et puis,

Tu te perdais dans mes champs, bouche ouverte

Je suis presque mort à ta dernière larme

Qui s’abîmait dans ma voix

S’oubliant loin du souffle.

La terre s’écartait entre nous.

Tu dévalais le versant nord, vers le val,

Tu crevais en mode frein moteur ».

Par une force poétique splendide, La cité dolente rend audible et sensible l’avachissement progressif du corps vieillissant, l’ancrage langagier qui accroche le temps comme autant d’articulations possibles. Le texte devient hybride : blancs typographiques, versets, tableau à double entrée, poèmes ; La forme est sens plein.

« Ou partir, vers les bulles prisonnières, toucher en chacun les glaciers bleus, aller, dolent, dans la cité, frôler et voir. Ressortir de l’onde, la robe blanche trempée qui pèse, mais oser faire le choix de respirer, les pieds nus et les mains vides ».

La cité dolente, Laure Gauthier, Editions LansKine, 2015. Texte poétique écrit en 2012-2013, revu et corrigé par l’autrice pour les Editions LansKine de 2015.

Article initialement écrit pour le Webzine https://www.undernierlivre.net/



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