Notre château, Emmanuel Régniez.


De qui avons-nous le plus peur ? Des fantômes ou de nos fantômes ?


 C’est un livre bien étrange et beau que Notre château. Aussi étrange qu’une maison vide devienne lieu de vie là où tout appelle à la mort, là où l’on ne peut se défaire du souvenir des aïeuls qui l’avaient habitée. Dans cette étrange maison vivent deux adolescents : un frère et une sœur. Seuls. Depuis la mort de leurs parents dans un accident de voiture, ils ne sortent plus. Jamais. A l’exception du frère qui se rend chaque semaine à la librairie du centre-ville.


 Un jour, contre toutes attentes, il a l‘impression d’apercevoir sa sœur Véra dans le bus 39. Comment est-ce possible? Réelle ou fantasmée, quel secret cette vision cache-t-elle ? Pour comprendre comment vivent en ce lieu des enfants abandonnés à leurs peurs, il nous faut tendre l’oreille, réussir à saisir les bribes prononcés par ces êtres en transfert qui se parlent peu mais ne peuvent se quitter, vivant là à la marge du monde, dans une bulle qui ne contient rien d’autres que de grandes pièces immaculées et les livres de l'immense bibliothèque familiale en souvenirs. Ici, il nous faut entendre ce que la répétition de mots en apparence vides de sens dit, que lecteur s’en imprègne pour parvenir à saisir l’effroi dans lequel les personnages sont figés.

Apparaît ainsi la poésie d’une voix introspective qui tente de reconstruire ce que l’apparition furtive de Véra a déconstruit. Ce jour-là, silencieusement, l’équilibre factice longuement acquis entre ces deux êtres interdépendants a été mis à mal. L’espace de la maison est investi. Chaque détail compte, indices dans l’attente du drame qui pourrait bien éclater.


Sorte d’incarnation, rempart contre l’angoisse, Emmanuel Régniez affirme au seuil de son texte: « Je soigne ma mélancolie en me racontant des histoires qui pourraient me faire peur. ». Texte étrangement à part, bulle fantastiquement close où le lecteur est ailleurs, la maison devient un laboratoire de l’humain. On y observe l’être entre ses quatre murs, à l’âge où il se forme, et on se demande comment ce sera quand la douleur n’y sera plus contenue. Quand elle aura éclatée, que restera-t-il ?

Dans cette drôle de maison qui nous reste étrangère, qui nous fascine autant qu’elle nous fait frissonner, nous y trouverons peut-être bien davantage que ce à quoi nous pouvions nous attendre. En frôlant les limites du réel, l’auteur nous convie à entendre la petite musique d’un lieu qui est le miroir d’un monde intime que nous ne cessons tous d’habiter.

Notre château, Emmanuel Régniez.
Parution: 21 janvier 2016 aux éditions Le TRIPODE.



Presse :

"Prenez votre souffle, frappez... Et entrez!". Librairie Passages à Lyon. 


"Vouloir résumer l’ambiance de Notre Château est risqué, l’ingéniosité d’Emmanuel Régniez est d’avoir construit un roman aux multiples facettes servi par une écriture toute en finesse. Un roman dont l’expérience est unique et à vivre absolument." Librairie du Tramway à Lyon. 


"Amis du bizarre, ce livre est pour vous. Un roman de l'étrange avec un soupçon du mouvement absurde Beckettien. Un vrai plaisir de lecture, et c'est (encore) aux éditions Le Tripode ! Nous vous le conseillons !" Librairie Les Lucioles à Vienne.


"Un roman hypnotisant, dans lequel on chute". Le Soir.



Extrait: 
Cela fait vingt ans que ma sœur et moi habitons cette grande, si grande, et belle, si belle maison. Si grande et si belle que nous l’appelons Notre Château.
Nous en avons hérité à la mort de nos parents. Mon père en avait hérité de son meilleur ami. Celui-ci a tout légué à mon père. Il n’avait pas de famille et considérait mon père comme sa seule famille.
Il a donc donné à mon père cette grande, si grande, et belle, si belle maison. Si grande et si belle que nous l’appelons Notre Château.
Il y avait cependant une condition dans le testament : mon père ne devait pas habiter la maison, il ne devait pas la mettre en location, il ne devait pas la vendre.
Elle était à lui cette grande, si grande, et belle, si belle maison, mais il ne pouvait en profiter, ou pour le dire autrement, je crois que c’est le terme juridique approprié, il ne pouvait en jouir.
Ma sœur n’aime pas quand je dis que notre père n’a pas joui de cette grande, si grande, et belle, si belle maison.
Cette grande, si grande, et belle, si belle maison nous est revenue à la mort de nos parents. Il n’y avait pas de clause dans le testament. Il n’y avait pas de testament. Et nous pouvons ma sœur et moi habiter dans cette grande, si grande, et belle, si belle maison. Nous pouvons en jouir. Ma sœur n’aime pas quand je dis que nous pouvons jouir de cette maison.
Mais oui, nous jouissons de cette grande, si grande, et belle, si belle maison. Si grande et si belle que nous l’appelons Notre Château.

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