La vie meilleure, Etienne Kern

 


Je répète " Je n'ai pas peur, je n'ai pas peur , je n'ai pas peur ", mais je suis encore accrochée à la peur, par trois fois. A la place je dirai donc que "je suis sereine". Je fais du Emile Couet. J'appuie par le mot sur l'imagination, j'ouvre une porte, un asile, un espoir. C'est formidable, il suffirait d'y croire ! 

Jusqu'où le langage est-il performatif ? Quels territoires intimes et sociaux peut-il conquérir ? Comment le rendre tuteur ? Etienne Kern retrace le parcours, romancé, de la vie d'Émile Couet, l'invention de sa méthode : pourquoi, comment, jusqu'où ? La vie meilleure, une illusion ? Et le temps de le dire " la vie meilleure, la vie meilleure, la vie meilleure " ? 

*

" J'ignore pourquoi j`insiste sur ce mot, comptoir. Mais c'est l'image qui me vient, je ne vois plus que ça, cette longue barrière qui nous sépare, avec Émile penché là, ce geste lourd, les deux paumes à plat, solidement plantées. Il y a chez lui cette pesanteur qui prend appui, il cherche une illusion dont j'ai besoin, moi aussi: quelque chose tient, un support, une base. Et au moment d'écrire ces lignes, mes poignets pèsent sur ma table, j'aimerais m'ancrer quelque part, trouver de quoi fonder ces spirales que je ne cesse de refaire, d'effacer, de tordre

encore, sans jamais trouver le mot juste. Mais j'ai beau peser de tout mon poids, j'ai beau faire trembler la table - pas une table, d'ailleurs, une planche sur des tréteaux, rien de stable ici non plus, mes carnets vibrent, mes crayons vibrent -, les spirales se dérobent et se perdent, toujours pauvres et toujours vaines. Par là aussi ça s'échappe, ça repose sur des nuages, mon Emile est une vitre qu'un rien pourrait briser; je suis devant cette vitre et j'y dessine des figures. J'ai huit ans, j'ai dix ans ". 

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" L'espace d'un instant, j'ai la tentation de tout lui raconter / Nancy, la méthode. Lui parler d'Emile. Lui parler comme lui, peut-être : s'ouvrir à la joie, croire au lendemain. Je renonce aussitôt ; je sais son corps plié en deux, je sais la mort autour d'elle. Quelques slogans répétés n'y changeront rien. On insulte la douleur à vouloir la nier ". 

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" 1913, encore. Son premier testament. Il en écrira deux, plus quatre codicilles. Méfiez-vous des optimistes : ils sont hantés par la mort. Est-il malade lui-même? Non. Ce testament est une tribune. C'est une chaire". 

 

 

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