Olivia Rosenthal, Une femme sur le fil
Pour raconter l'irracontable, il
faut être un peu funambule, ce qu'Olivia Rosenthal est.
De livres en livres, elle
construit un univers singulier, polymorphe, en forte prise avec le réel qu'elle
interroge sans relâche. Dans UN SINGE À MA FENÊTRE, elle se rendait au
Japon pour enquêter sur les attentats au gaz sarin qui ont eu lieu en 1995.
Elle en rapporta " Des scolopendres. Des veuves noires. Des oublis. Des
murmures. Des non-dits ". La narratrice tentait alors de lire dans les
signes, l'écriture devenant la seule façon honnête, humble, de pouvoir fouiller
le réel, la seule façon d'interroger et de dire ceux qui avaient été pendant
tant d'années privés de langage, comme si rien n'avait eu lieu. Comment faire
face à un traumatisme sans les mots, comment s'en libérer ?
UNE FEMME SUR LE FIL suit en quelque sorte le même tracé. Il s'agit de
dire l'histoire de Zoé, petite fille acculée à l'indicible de la violence.
Comment l'écriture peut-elle redonner la parole, rompre les cercles, trouvant
ainsi l’échappatoire pour fuir l’oncle, l'oncle qui attend à la sortie de
l’école et qui, de répétitions en répétitions à mesure que progresse le texte,
fait pression. Olivia Rosenthal dans un entretien pour la revue littéraire Diacritik
aborde la question de ces faits divers qui traversent et s'inscrivent dans
notre quotidien, auxquels nous devons faire face sans savoir comment. Il y a
cette impuissance-là, cette nécessité à faire humanité. La littérature
peut-être une réponse, personnelle et collective, affirme-t-elle, elle en est
du moins l'essai. Et ce n'est pas rien !
Aussi l'autrice marche-t-elle sur un fil et nous l'accompagnons dans ce trajet,
tenant les paragraphes en listings numérotés comme autant de paliers. Dans ce
monde en feu qu'on traverse, tous les appuis sont bons: l’implacable logique
des chiffres, les phrases et les mots, le partage documenté de l'expérience
circassienne, famille dont les membres chaque jour semblent réapprendre à
structurer leurs appuis.
" 648. Je m'en suis rendue compte après coup, les gens qui ont fait une
école de cirque ont tous un parcours lié à la violence.
650. Suite à l'épisode des yeux brillants, Zoé se poste régulièrement dans les arbres. Là-haut, elle se prépare à mettre un nom sur ses visions, à trouver des réponses aux questions essentielles qu'elle se pose même si elle n'a pas les mots.
651.L'histoire de Zoé est l'ombre portée de toutes les histoires d'acrobates
que l'on m'a racontées.
819. Les échanges que j'ai eus avec M. dépassaient largement l'entretien ou
l'interview. Ils nous aidaient l'un et l'autre à donner un peu de sens à nos
activités respectives, et à nous expliquer à nous-mêmes quelle méthode nous
employons pour porter notre passé sur nos épaules sans ployer sous son poids.
676. Je ne monte pas sur les arbres ou sur le fil, je ne saute pas en
parachute, je ne plonge pas tête la première, je ne pratique pas le double
salto arrière. L'écriture vaut comme activité substitutive plutôt que comme
description.
Il ne faut jamais attendre de réponses dans les livres
d’Olivia Rosenthal, c’est sa force, cette façon systématique qu’elle a de tout regarder
les yeux grand ouverts, nous mettant face. Et questionner le monde, c’est
questionner la langue pour
Commentaires
Enregistrer un commentaire