Théâtre: Pour un oui ou pour un non, Nathalie Sarraute.

Sarraute développe un théâtre du langage. « C’est au déroulement […] de ces drames microscopiques, insoupçonnés, qui à chaque instant se jouent en nous, que je m’attache », écrit-elle. Sa pièce, créée pour la radio en 1981, parue l’année suivante et jouée en 1986, est l’illustration de cette réflexion de l’auteur (affiliée au Nouveau Roman) sur le langage. 

La pièce repose sur un dialogue de plus en plus tendu entre deux amis de longue date (nommés H1 et H2 dans la liste des personnages), qui dévoile les « mouvements intérieurs » suscités par la parole et la présence de l’Autre – ce que Sarraute a appelé des « tropismes » : «  au nom de ta mère… de nos parents… Je t’adjure solennellement, tu ne peux plus reculer ». La pièce débute par un interrogatoire de H1, venu demander à celui qu’il nomme « son frère » d’expliquer les raisons de son éloignement. H2 répugne à en parler, à parler, car il se méfie des mots qui peuvent entraîner trop loin et sont déconnectés de la chose ressentie : « ça peut vous entraîner… », Tu ne comprendras jamais, personne, du reste, ne comprendra jamais ». Puis, sous la pression de son interlocuteur, il cède : ce qu’il disait n’être « rien » devient crucial. Il évoque notamment une expression « condescendante » prononcée par H1 à son encontre il y a quelque temps et qui l’avait blessé. Une expression dont l’accent sur un mot, le suspense entre ce mot et le suivant, l’ont conduit à penser que H1 le méprisait : « Eh bien…Tu m’as dit il y a quelque temps…tu m’as dit…quand je me suis vantée de je ne sais plus quoi… de je ne sais plus quel succès…oui…dérisoire…quand je t’en ai parlé…tu m’as dit…c’est bien…ça ». La rupture amorcée entre les deux amis a donc pour origine un implicite, un sous-texte mêlant des sensations confuses et des mots plus ou moins conscients.

Tout l’enjeu de la pièce sans véritable intrigue ni personnages est là. Les mots se chargent de ridicule et d’absurde pour aboutir à une joute verbale qui fait de ce texte une tragi-comédie contemporaine unique, un théâtre du langage où les silences jouent un rôle non négligeable, de ces pauses malencontreuses qui ouvrent à des interprétations multiples et variées. Telle intonation pourra être mal perçue, mal interprétée par l'être trouble qui se trouve en face de nous. Car derrière le rêve de transparence inhérent à toute communication, avorte le tropisme ; ce quelque chose qui se tient tapi à l'orée de nos conversations. Par le biais de ces discours discordants, l'incommunicabilité entre les êtres qui se manquent "pour un oui ou pour un non" se jouent sous nos yeux.



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