Les grands, Sylvain Prudhomme.



2012. Guinée-Bissau. Alors qu’un coup d’Etat se prépare, Couto, guitariste du « Mama Djombo » apprend la mort de Dulce, la célèbre chanteuse du groupe, à son apogée dans les années 70. C’est un choc. Il ne s’en remet pas et déambule dans le pays à la recherche des souvenirs qui ont marqué ses plus belles années.

« I muri. Zé au téléphone avait dit ces deux mots le plus doucement possible pour les rendre moins coupants. I muri Couto, elle est morte – répétant I muri comme s’il avait craint que les deux mots n’aient pas suffi la première fois, comme s’il avait eu besoin lui-même de les dire à nouveau. Couto tu m’entends tu ne dis rien. »

Trente années défilent alors au cours desquelles on hume l’atmosphère d’un pays que les coups de feu laissent encore indifférent. On parcourt les rivages d’un amour perdu, empreint d’une douce mélancolie… On se prend de plein fouet les rires des membres du groupe, les odeurs des mets grillés qui côtoient les rues délabrées de la ville où la jeunesse locale vit de tout et de rien en prenant peu à peu la place des anciens… Le son du « Mama Djambo » est libre, énergique, osé comme le ton du roman qui retranscrit le parler local, l’incroyable force de vie qui s’y trouve et qui se mêle à la chute d’une reine, à la fin d’une époque. Que de bonheur et d’émotions dans ce roman ; que de charme dans cette écriture, cette langue qui dit un pays aimé par l’auteur durant tant d’années. Il faut croire qu’on n’oublie jamais un premier amour, tout ce qu’il contient de folie, d’impossible…

« Cette diablesse de femme que tu aimeras toujours disait-elle en riant les fois où passait une chanson de Dulce à la radio. Cette ensorceleuse contre laquelle je ne pourrai jamais rien. La voix de Dulce ruisselait dans la pièce, planait entre les murs autour d’eux, enfantine, pleine de grâce […] Coutoooooooooooooooo ! Dans son souvenir ces trois années n’étaient pas seulement l’âge d’or du groupe. C’étaient les années Dulce. Indissociable de ce pan de vie, elle était là, avec son sourire, sa fierté, ses sautes d’humeur. Si intimement mêlée à l’ivresse de cette période que Couto ne pouvait dire ce qui, de son éclat, tenait à l’histoire qu’ils avaient eue ou à l’euphorie ambiante d’alors ».

Le temps n’efface pas non plus ce qui fait l’âme d’un pays... Ni ce qui a constitué un groupe. Ce soir, un dernier concert au Chriringuito marquera l’incroyable fulgurance du « Mama Djombo », son talent, sa force ineffaçable. Couto et d’autres anciens du groupe ont rendez-vous ! Dans la chaleur de cette soirée, la voix de Dulce résonne en chacun…

« Binham avait attaqué Baliera, la chanson de l’amour, connue pour faire pleurer tous les amoureux, avait enchaîné sur Djan Djan, la chanson de l’exil, connue pour faire pleurer tous les Guinéens tout court ».

« Atchutchi dans ses chansons ne disait pas amour, il disait Baliera, quelque chose à mi-chemin du balancement et de la danse. Baliera comme le flux et le reflux du désir, des océans, des astres. Baliera comme le grand balancement du monde, la soif universelle d’aimer. Les hommes et les femmes de ses chansons n’y pouvaient rien, ils étaient les jouets d’une houle qui les bringuebalait de-ci de-là, imprévisible, toute- puissante ».
 



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