Tout quitter? Partir sur les chemins sauvages de L'ouest américain.... Wild, Cheryl Strayed.
Un roman d’aventure ?
Le roman de Cheryl Strayed, WILD, publié en 2013 chez Flammarion, est avant tout l’histoire d’une rupture. C’est un récit sensible dans lequel l’auteur raconte à la première personne comment du jour au lendemain, elle a dû tout quitter pour exister. Sa vie désastreuse et ses lignes de faille* nous parviennent par le biais d’une très longue marche que Cheryl entreprend et dont l’écriture est le relais.
Le chemin emprunté est celui d’une célèbre randonnée de 1700km : le « Pacific Crest Trail » - le Chemin des Crêtes du Pacifique - qui sillonne les côtes sauvages de l’Ouest américain, de la Sierra Nevada à la chaîne des Cascades. Sur ce parcours qui traverse principalement des milieux forestiers préservés mais déserts, Cheryl traversera trois Etats : la Californie, l’Oregon et l’Etat de Washington. Perdue au beau milieu d’une nature sublime mais hostile, la jeune femme se confrontera à ses doutes, au présent et au passé qui les ont nourris : le cancer et le décès de sa mère, un divorce douloureux, puis quelques années en marge, en tant que junky.
Sur la route, elle (ré)apprendra à vivre, à mettre dans chacun de ses pas chaque jour un peu plus de force pour accepter les zones d’ombre de son passé. Aux échos sombres de ses souvenirs se mêleront le chant des oiseaux, la peur des bruits de pas de quelques animaux sauvages qui pourraient bien croiser sa route. Seule face à l’immensité de la nature, elle ira puiser au plus profond d’elle-même pour essayer de donner forme à l’inacceptable.
Une introspection ?
« Si le courage te fait défaut
Va au-delà de ton courage ».
Emily Dickinson
La citation d’Emily Dickinson en exergue de la troisième partie du roman résume bien l’intérêt du texte. Le Dictionnaire de l’Académie Française définit le « courage » ainsi : « disposition de l'âme avec laquelle elle se porte à entreprendre, à repousser ou à souffrir quelque chose ». Comme Dickinson l’y invite, le récit de Cheryl rend perceptible la manière dont on doit parfois lutter et se débattre avec des souffrances qui empoisonnent l’âme, l’empêchant de s’élever et allant même jusqu’à la souiller. La métaphore et la réalité se rejoignent à bien des instants : l’ascension des montagnes qu’elle franchit est la seule façon qu’il lui reste de pouvoir survivre.
En chemin, nous comprenons en quoi il lui en a fallu du courage ! Il ne s’agit pas seulement d’avancer, de mettre un pied devant l’autre pour arriver au bout mais bien d’abandonner progressivement des poids qui enferment l’homme et le fond tourner en rond.
Cette exploration intime est habilement amenée au lecteur. Notre empathie se développe et nous nous libérons avec Cheryl : au sens le plus littéral du terme d’abord, puisque son sac à dos est trop lourd à porter. Il symbolise en lui seul la lutte dans laquelle elle s’engage, sans n’avoir rien prévu au préalable. Fardeau d’un présent devenu trop encombrant et marque de son inexpérience, le passage où elle s’inflige le port de ce compagnon de route est en lui seul un instant grandiose. Puis, Cheryl va perdre l’une de ses chaussures qui glissera malencontreusement au fond d’un ravin… Ironie du sort ? Cette marche devient de plus en plus claudicante, à la frontière de plusieurs tonalités : on passe du rire aux larmes et les célèbres mots (dont on peine actuellement à retrouver l’auteur) «l’humour est la politesse du désespoir » prennent sens.
Une leçon de vie ?
Petit Poucet des temps modernes qui ne parvient plus à combattre la perte d’un être cher, Cheryl nous pousse finalement à revoir sous un angle plus indulgent nos actions douloureuses. Au long de ce chemin s’interposent à ses côtés nos propres doutes, nos passés et nos choix. Et l’on voit bien que les relations familiales, l’impact que celles-ci ont sur nos êtres est un sujet qu’aucun genre ni aucune époque n’épuise... Assez loin d’une première impression futile sur le roman, le partage de l’intimité de Cheryl s’avère être une honnête réflexion sur des problématiques bien plus profondes qu’elles n’y paraissent. La petite musique intérieure de cette femme sonne si juste qu’elle nous touche profondément. Mais ce n’est pas tout, cette histoire est aussi un voyage, géographique, poétique, littéraire…
A cet appel au vide que constitue l’attrait des grands espaces, où ne résonnent que le silence et le bruit de nos pas, nous restent ainsi en tête bien des images et des mots… L’imaginaire fonctionne à plein régime. La réalité des lieux intrigue. Quand nous refermons le livre, nous avons vécu une vie.
* « Lignes de faille » est le titre d’un roman de Nancy Huston publié chez Actes Sud.
Commentaires
Enregistrer un commentaire