Savourer l'instant... Le Sel de la vie, Françoise Héritier.


Anthropologue et professeur au Collège de France, Françoise Héritier signe un livre qui réconcilie l’intime et l’universel.  Pas de « je » débordant ici mais des fragments qui saisissent l’essentiel de l’humain, de ce qui rend vivant. On a envie de garder ses mots près de nous longtemps ou de les offrir à ceux qui nous sont chers car ils sont comme un garde-fou au temps qui passe. 

Le projet de l'auteur, dont la prose est constituée de listes, rappelle les inventaires de Perec, et prend naissance lors de la réception d'une carte postale qu'un de ses amis chirurgien lui envoie après avoir pris une semaine de vacances. Cet homme qui travaille sans relâche et dont l'énergie principale est vouée à ses patients lui écrit qu'il apprécie cette semaine hors du temps, qui semble "volée" alors même que le terme plus juste et moins empreint de culpabilité serait probablement "bien méritée".

Françoise Héritier décide alors de lui répondre en entreprenant la liste des petites choses simples du quotidien qui nous rendent la vie belle, formant ainsi ce que l’auteur intitule "Le sel de la vie". Nous embarquons immédiatement dans des souvenirs très étrangement similaires aux nôtres. L’humain préside en toute puissance face aux petits questionnements personnels et place ces bribes de vie bien au-delà de la rentabilité, de la productivité et de tout ce qui peut nous contrarier ou nous appauvrir. Le charme du propos réside en ces frêles instants qu’il est si bon de faire émerger de nos mémoires, comme si nous retrouvions subitement un trésor caché dont le plaisir immense n’est pas dans la valeur de l’objet mais dans tout ce que celui-ci porte en lui de symbolique. 

Parmi ceux-ci, l’auteur partage pêle-mêle, tels qu’ils affleurent à la conscience, ses mots comme des mantras : 
« écouter religieusement Mozart, les Beatles ou Astrud Gilberto, faire un aller-retour en une nuit en Suisse pour assister à un concert de son chanteur préféré, se gorger de fraises des bois, prendre les chemins côtiers un jour de grand vent, attendre une éclipse ou le passage nocturne d’un grand duc, se creuser la tête pour savoir ce qui ferait plaisir à l’autre, marcher nu-pieds, prêter l’oreille à des voix répercutées par la mer, s’étirer, bailler, […]être à l’affût des regards qui en disent long, corner une page même si cela ne se fait pas, […] se tenir par le bras ou par la main, marcher à contre-courant »

Difficile de ne pas laisser s’échapper un sourire à la lecture, de ne pas se dire « c’est tellement simple, évident… ». Puis l’envie qui parfois peut surgir d’essayer sa propre liste, comme ça, sur un coin de table, juste pour voir ! 

Le Sel de la vie de Françoise Héritier

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