En attendant Bojangles, Olivier Bourdeaut: l’enchantement du monde contre l’enfer innommable.
« Certains
ne deviennent jamais fous…
Leurs vies doivent être bien
ennuyeuses », Charles Budowski.
Marguerite Duras disait: « Ecrire, c’est hurler sans bruit ». C’est aussi ce que fait à merveille le petit garçon que le premier roman d’Olivier Bourdeaut nous présente, un personnage qui observe quasi-silencieusement la drôle de vie que mènent ses parents, modèle d’une fantaisie rare pour qui la question de la normalité est une bien mineure affaire.
L’école ? L’enfant n’ira d’abord plus car « rien ne s’était passé comme prévu ». Il y avait d’abord eu ce désaccord avec l’institutrice sur le sens que devait prendre l’écriture ; puis, une fois la « maladie de l’écriture » soignée, une maman qui avait voulu emmener son fils en vacances en pleine année scolaire pour « voir les amandiers". "Vous ne voulez tout de même pas que mon fils rate les amandiers en fleurs ! [s’était-elle exclamée], c’est son équilibre esthétique que vous allez faire vaciller ! Manifestement la maîtresse n’aimait ni les amandiers, ni les fleurs et se foutait royalement de mon équilibre esthétique ». L’affaire est tranchée, par le réjouissant cynisme dont l’auteur sait faire preuve ; mêlant à merveille enchantements et incompréhensions de l’enfance face à l’honteuse vérité adulte… Bien loin de dilemmes qui n’en sont pas encore parce qu’à cet âge, on est trop petit, et qu’on n’a pas vraiment le choix, ils sont partis. Voilà comment l’école s’est finie et comment des vacances en cdi ont débuté.
Foulant « l’herbe menue » et la route bitumée, accompagné de père, mère et d’un étonnant oiseau rare plus ou moins domestiqué -nommé « Mademoiselle superfétatoire »- une nouvelle vie a commencé. Et nous voici lecteurs, partis avec eux, sans préavis, collés à l’arrière de leur voiture, le souffle coupé par l’époustouflante fraîcheur qui éclate des mots et qui, malgré tout, à chaque virage, nous font frissonner. On comprend bien, on n’est plus dupes… On juge de loin et on essaye d’oublier tout ce que le monde bien-pensant nous a dit sur ces maux qui rongent l’être. La « folie », « la démence », « être toqué »... Les moyens de les nommer ne manquent pas. Mais là, on se met à hauteur d’enfant, on accepte de jouer le jeu, pour voir comment c’est, le « monde à l’envers » ! Dans ce regard pur, on lit le monde à distance d’une réalité trop difficile à vivre, innommable, que seule la fiction peut rendre supportable. Or la fiction, c’est ici la fantaisie, le jeu, l’excès. On est dans la vie, croquée à pleines dents. On passe de fêtes en fêtes, à écouter Mr Bojangles de Nina Simone, d’amusements en plaisirs impossibles à satisfaire…
Puis on avance, on pressent une fin, la terrible issue de ce mal qui dévore… Et on s’arrête, parce qu’on veut souffler, réfléchir, prendre un peu de recul sur ce premier écrit si modeste et en apparence si peu sérieux qui aborde des choses graves avec l’air de ne pas y toucher. On pense aux livres et aux romans qui nous ont marqués
et qui ont déjà abordé cette question : les mendiants de Duras qui errent dans Calcutta, les camisoles des Echelles du Levant d’Amin Maalouf, la douleur atroce de cette mère que nous dépeint Charles Juliet. Tous restent en Lambeaux... Peine à croire que l’on puisse parler de ce sujet légèrement. Et pourtant, c’est chose faite.
Les mots d’Olivier Bourdeaut dont l’éditeur présente le roman en ajoutant que l’auteur a « longtemps hésité à écrire, se sentant tout petit devant sa bibliothèque » sont beaux, puissants, vrais. A l’endroit, à l’envers », on s’amuse, on songe aux frontières de notre univers qui parfois se devrait d’être moins sérieux pour aller voir ailleurs, de l’autre côté du miroir, là où rien n’est si simple et où tout devient sublime. Ce livre est une ode à la tolérance et aux idées bien pensantes que l’on inculque dès le plus jeune âge sur ce qui doit être normal et sur ce qui l’est moins. Il ne se contente pas de décrire la douleur, il la transcende. Il bouscule la norme en frôlant la folie, et l’on rit autant que l’on pleure, bien sagement assis.
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